L’américanisation du football

aerial view of soccer stadium

En 2020, la ministre des sports, Laura Flessel, a émis l’idée de jouer la Marseillaise avant chaque rencontre de chaque championnat français. Outre son caractère politique et sa volonté à faire des sportifs les sauveurs de tous les maux de notre société, cette mesure s’inscrit dans l’ère du temps : celle de l’américanisation du football… ou du soccer ?

Qui n’a pas de souvenir des matchs de Ligue des Champions sur TF1 ne saurait être choqué par la marchandisation du football, qu’elle soit télévisée ou humaine. Sans tenir le discours complaisant et inconscient de certains partis politiques vis-à-vis du football et de son industrie exponentiellement croissante, il semble essentiel de rappeler combien cette dernière demeure précaire et reflète les inégalités de notre modèle économique. Car si catégoriser un Neymar, un Messi ou un Cristiano Ronaldo comme allégories des conditions de vie des footballeurs est une absurdité qui omet toutes les dérégulations que subit le monde du football, son économie n’en est pas moins cohérente aux yeux des spécialistes. Considérant les bénéfices des plus grands clubs européens, il n’était pas inconcevable d’imaginer plusieurs joueurs être transférés pour des sommes dépassant la centaine de millions d’euros. Ces transferts étaient fatalement inévitables face à des mesures si peu contraignantes, souveraines et modernes telles que le fair-play financier. Les débats idéologiques sont donc bien inutiles devant une industrie se contentant de répondre aux règles capitalistes, devenue machine à sous grâce à celles-ci ; et s’en égosiller maintenant serait d’une hypocrisie terrible.

Néanmoins, il subsiste des fractures et des inégalités immenses entre les mondes professionnel et amateur qui s’oublient alors qu’elles devraient susciter des combats. Tandis que les clubs les plus riches ne cessent de s’enrichir et d’augmenter leurs joueurs, les retards de salaire, les conditions de travail insuffisantes et les reconversions inexistantes sévissent toujours dans les classes les plus modestes du football… Entre rêve et réalité, où se situent solidarité et lois du marché ?

Il ne s’agit pas là de relancer le débat sur la vidéo dans le football, mais de proposer une analyse alternative à celles qui occupent les débats depuis de nombreuses années. A-t-on ne serait-ce qu’une fois émis l’idée de sonder tous les acteurs principaux (joueurs, entraîneurs, préparateurs physiques, etc…) sur la question ? Les premiers tests ne sont pas concluants, mais le seront-ils un jour ? Le football, dans ses gènes, est-il compatible avec des phases d’arrêt répétées de plusieurs minutes ? Les préparateurs physiques sont-ils capables d’anticiper ces changements et de préparer les joueurs à des efforts entrecoupés ? Limiter le temps possible pour effectuer un dégagement ou une touche ne va-t-il pas dans le sens de proposer un sport rapide et qu’on ne doit interrompre ? Quelle est – réellement – la position des professionnels sur le sujet ?

S’il est une impression qui se dégage de tous ces débats, c’est qu’ils sont souvent médiatiques. Doit-on céder aux exigences d’un public capricieux qui souffre dans son coin d’une remontée historique en Ligue des Champions alors que son équipe avait maîtrisé son match aller ? Si le football est une industrie, alors il est naturel que oui. Mais cela suggère de renouveler le football, les joueurs devront s’habituer ou… couler. Idem pour les entraîneurs et pour les préparateurs physiques.

Quelles seraient les conséquences sur les inégalités exposées ci-dessus entre les mondes professionnel et amateur ? Installerait-on des systèmes de caméras et de visionnage dans tous les stades de France ? Habituerait-on les jeunes dès leurs premiers entraînements à gérer cette nouvelle donnée ? Quel que soit l’avis que l’on partage, ce débat amène des questions fondamentales qu’il faudra traiter pour ne pas se contenter de satisfaire un public consommateur.

S’il est un autre facteur qui gangrène notre perception du football depuis quelques années, au point d’influencer le comportement des joueurs sur le terrain, c’est la prédominance nouvelle des statistiques dans nos analyses. Aux États-Unis, les statistiques sont omniprésentes dans les sports dominants que sont le baseball, le football américain ou encore le basket. Mais ce sont des sports différents du football qui possèdent leurs propres règles et qui exigent une réflexion unique. Ce sont des sports dans lesquels il est souvent pertinent de crédibiliser une thèse à l’aide de statistiques parlantes. En football – pardon, en soccer – il est aisé de rendre les statistiques (et donc les mathématiques) subjectives.

Par exemple, les statistiques sur le nombre de passes réussies par un joueur au cours d’un match éludent souvent la différenciation entre les passes en retrait, les passes latérales et les passes vers l’avant. Et quand bien même c’était le cas, la simple statistique ne sait reconnaître une passe vers l’arrière utile – qui peut être à l’origine d’une remontée du bloc adverse, et donc de sa déstabilisation que pourrait exploiter un relanceur de qualité en orientant le jeu vers des joueurs s’étant démarqués après que les adversaires se sont dispersés – d’une passe en retrait vaine et infructueuse. C’est alors que, parce que le football est nouvellement friand de statistiques et que leur place dans l’analyse ne cesse de croître, se révèlent des mentalités individualistes chez les joueurs. Certains n’osent pas aller au contact face à des joueurs plus imposants qu’eux pour soigner leur stat’ de duels remportés tandis que d’autres gâchent des opportunités sur coup-franc avec des frappes molles et peu dangereuses pour soigner leur stat’ de tirs tentés et de tirs cadrés. Et si vous doutez de la véracité de ces avancements, quoi de mieux qu’une citation de Karim Benzema sur le sujet ?

« Le football, c’est une affaire de statistiques», avait-il expliqué en 2014 à son ancien coéquipier en Equipe de France Antoine Griezmann.

Karim Benzema

Depuis, le principal intéressé a changé d’avis, déclarant en septembre dernier que « le football n’était pas du basket » et qu’ « il n’y avait plus aucun amour du jeu pur et dur ».

Tous ces éléments en éclipsent même l’aseptisation des stades, les diverses contraintes imposées aux supporters abonnés et les nouveaux jeux à l’américaine dans les tribunes comme au Parc des Princes ; ce même Parc des Princes qui aura été le stade iconique de ce football business et américain pendant de nombreuses années et qui, dorénavant qu’il revit un peu, sait accroître le respect et la considération des joueurs du Paris Saint-Germain pour ses supporters et son histoire. Finalement, le soccer prendra la trajectoire qu’il souhaitera. Espérons qu’elle soit bonne et que sa future révolution – certainement initiée par le marché chinois, soutenu et politisé par le président Xi Jinping – n’apporte pas son lot de problématiques avec elle.

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